Comment Le Bourgeois gentilhomme de Molière a-t-il vu le jour ?

  • 26 mars 2020
  • Paris sous tous les angles
  • Manon Bertrand

Le roi Louis XIV fut sans conteste le plus grand mécène de la monarchie française. Il réunissait à la cour les meilleurs artistes de l’époque. Nous connaissons tous les chefs-d’œuvre de Molière, dont le très acclamé Le bourgeois gentilhomme, écrit en 1670. Mais comment cette pièce a-t-elle été créée et quand ? La réponse se trouve à quelques kilomètres de Paris, dans la Vallée de la Loire.

La royauté loin de Paris

Paris n’a pas toujours été le centre politique et artistique de la France. En effet, pendant plus d’un siècle et demi, la plaque tournante fut la Vallée de la Loire, au centre du pays, où les rois et les nobles ont construit leurs innombrables et magnifiques châteaux. Cette période correspond au début de la Renaissance française (vers 1498) jusqu’au début de l’ère classique (début du XVIIe siècle). Les rois se sont installés dans la Vallée de la Loire car la région était plus sûre et plus propre que Paris, menacée à plusieurs reprises par des puissances étrangères. La ville principale de la région, Tours, est même devenue la capitale du royaume de France sous Louis XI, pendant environ 80 ans.

Chambord, une pause dans la vie urbaine

Même si Louis XIV décide de faire de Versailles sa résidence principale, il apprécie particulièrement les séjours dans son château de Chambord, situé dans une gigantesque forêt de la Vallée de la Loire. Enfant, il avait l’habitude de venir dans ce domaine de 5 440 hectares pour rendre visite à son oncle Gaston d’Orléans, le propriétaire de l’époque, et a toujours adoré. À la mort de son oncle, Chambord retourne au patrimoine royal. Louis XIV y venait entre autres pour chasser mais aussi pour se divertir : il voyageait toujours avec la troupe de théâtre royale.

Les arts de la scène pour le plaisir du roi

Louis XIV était un grand amateur d’art, en particulier de ballets et de théâtre. Sous son règne (1643-1715), les artistes jouissaient d’une haute estime, car le roi lui-même se produisait régulièrement sur scène. L’un des dramaturges préférés de Sa Majesté était le célèbre Jean-Baptiste Poquelin, plus connu sous le nom de Molière, qu’il a placé sous sa protection. On lui confia la lourde responsabilité de divertir le roi et sa cour. Et lorsque Louis XIV parcourait son royaume, Molière voyageait avec lui. C’est au cours de l’un de ces voyages royaux qu’il écrivit l’une de ses pièces au plus grand succès, Le bourgeois gentilhomme.

Une comédie-ballet en réponse à un affront diplomatique

1670. La cour s’arrête à Chambord pendant quelques semaines. Louis XIV demande à Molière d’écrire une pièce de théâtre pour se moquer de l’ambassadeur ottoman Suleiman Aga, qui manqua de respect à ses hôtes en novembre 1669, lorsqu’il fut reçu à la cour de France à Versailles. En plus d’être méprisant et de porter une tenue non adaptée à la cour, l’ambassadeur ne sembla aucunement impressionné par le magnifique accueil du Roi Soleil. L’incident fut un sujet très sensible, l’Empire ottoman étant l’ennemi traditionnel du monde chrétien.

En collaboration avec le chevalier Laurent d’Arvieux, diplomate français parlant le turc, Molière écrivit la comédie-ballet Le bourgeois gentilhomme, pour le plus grand plaisir du roi. Ce genre d’œuvre est également appelé « turquerie », ce qui signifie quelque chose imitant certains aspects de la culture turque, qui fascinait les Européens au XVIIe siècle. La volonté de Louis XIV était de ridiculiser les Turcs : les Français aimaient les personnages exotiques et ceux-ci étaient assez faciles à tourner en ridicule.

Un théâtre en bois fut construit spécialement pour l’occasion dans l’une des 400 pièces du château de Chambord et le roi se servit de l’impressionnant escalier à double révolution comme balcon. La pièce, composée principalement de trois actes puis de cinq en prose, fut jouée quatre fois : les 14, 16, 20 et 21 octobre. Elle fut ensuite jouée à Saint-Germain les 9, 11 et 13 novembre, avant d’être présentée au Palais-Royal à Paris à partir du 23 novembre. Le bourgeois gentilhomme, considéré comme la comédie-ballet par excellence, réunit les meilleurs artistes de l’époque : Molière lui-même et le non moins célèbre compositeur italien Jean-Baptiste Lully.

De quoi parle Le bourgeois gentilhomme ?

Monsieur Jourdain est un bourgeois d’âge moyen désireux de s’élever au-dessus de son statut et d’accéder à la noblesse. Pour ce faire, il engage de nombreux professeurs pour parfaire son éducation : un maître de danse, un maître de musique, un professeur de philosophie, un maître d’armes, etc. Tous finiront par se moquer de lui, profiter de sa naïveté et lui emprunter de l’argent. Monsieur Jourdain sera même fait « mamamouchi » par un faux prince turc, pensant qu’il s’agit d’une haute fonction dans l’Empire ottoman, alors que ce faux titre ne vise qu’à se moquer des gens de la haute société. Le faux prince est en réalité Cléonte, l’amant de Lucile, la fille de Monsieur Jourdain, qui est venu déguisé pour faire sa demande en mariage. Le bourgeois gentilhomme passe de la satire sociale au spectacle burlesque, mêlant musique, chant et danse, prose et vers.

Qu’en est-il de Molière aujourd’hui dans les théâtres ?

Molière a donné un nouvel élan aux arts de la scène. Avant lui, la comédie était considérée comme un genre inférieur et les acteurs possédaient un très mauvais statut social. C’était un homme de scène complet : comédien, chef de troupe, auteur, metteur en scène... Ses pièces, où il critique les vices de la société, sont de véritables chefs-d’œuvre. Aujourd’hui, elles sont jouées encore et encore, dans toute la France. A Paris, au théâtre Le Ranelagh, une grande partie de leur programmation propose Molière : Le Misanthrope, Le Malade Imaginaire, Dom Juan, L’avare et Le Bourgeois Gentilhomme.

Comme Monsieur Jourdain, n’attendez plus et venez apprendre à parler en prose !